Plan de marche de Simon Derache : télécharger le pdf
Crédit photo : Simon Derache
Message du 7 juillet depuis Bobbio
Soudain, éclate le conflit prédit par Colomban entre les deux frères ennemis, Thierry et Théodebert. Colomban retourne auprès de Théodebert son protecteur pour lui conseiller d’éviter la guerre en abdiquant et en rentrant dans les ordres. Évidemment, ce dernier se gausse de ces propositions et n’en tient aucun compte. Alors Colomban l’avertit que s’il ne prend pas l’habit de moine de sa propre volonté, il lui sera imposé par la force. En mai 612, la confrontation se solde par la défaite écrasante de Théodebert qui, prisonnier, est livré à la reine Brunehaut, sa grand mère, qui le fait tonsurer et revêtir de l’habit monastique pour le ridiculiser avant d’ordonner son exécution.
Avec l’installation de la reine Brunehaut à Metz et l’étendue des pouvoirs de Thierry jusqu’aux confins germaniques, Colomban ne se sent plus en sécurité d’autant plus que la population toujours travaillée par le paganisme se montre désormais hostile, en vient à dénoncer les moines auprès du gouverneur local pour une affaire de chasse mais surtout à tuer deux moines dans un guet apens.
Après trois années de présence à Bregenz, profondément meurtri par ces meurtres, Colomban se résout à quitter son monastère pour reprendre sa pérégrination vers l’Italie.
Cependant, Gall compagnon de Colomban depuis l’Irlande reste à proximité d’Arbon, fonde un ermitage à l’origine d’une grande abbaye puis de la riche ville suisse actuelle de St Gallen. Sigebert essaime aussi dans les Grisons avec son ermitage puis l’abbaye de Disentis.
Le trajet pour rejoindre l’Italie n’est pas décrit dans la Vita Columbani. Les historiens envisagent quatre possibilités depuis Bregenz : deux débouchant sur le lac Majeur (par le col de Lukmanier ou le col de saint Bernard) et deux autres sur le lac de Côme (par le col de Splügen ou le col de Septimer). Tous ces cols étaient pratiqués depuis l’époque romaine. Mais pour Colomban pressé de se soustraire à Thierry et de quitter la région, la voie la plus rapide passe sans aucun doute par le col de Septimer (2311m) qu’il franchit à près de 72 ans.
Arrivé à Milan à l’automne 612, Colomban est reçu avec beaucoup d’honneurs par le roi des Lombards, Agilulfe converti à l’arianisme et son épouse catholique Théodolinde. Cet accueil s’explique par la renommée de Colomban mais aussi de certains de ses prédécesseurs car il n’était pas le premier irlandais à se distinguer en Italie. Il y reste environ un an.
L’évêque de Côme, partisan de l’arianisme comme le roi, profite de la présence de Colomban à Milan pour tenter de l’attacher à sa cause contre le pape Boniface IV. Colomban prend la défense du pape sans détour. Influencé par son épouse très pieuse et craignant des désordres dans son royaume, le roi au pouvoir depuis 22 ans est bien conscient du danger et des tensions dans les églises de Lombardie au sujet de l’arianisme. Il demande à Colomban d’intervenir auprès du pape pour qu’il sorte de son silence, se prononce et ramène la paix dans les esprits.
Convaincu, Colomban adresse au pape une longue lettre au ton parfois rude comme à son habitude, où il le presse de trancher tout en lui réaffirmant son soutien et sa fidélité. Dans cette lettre, il parle d' »Europe » comme d’une entité, sans doute un des premiers à l’écrire.
Le roi des lombards lui accorde de s’installer où il le désire et le confirmera par une charte. Par un dénommé Iocundus, Colomban découvre dans les Appenins un nouveau lieu isolé appelé Bobbio où se trouve déjà une basilique dédiée à St Pierre. L’environnement rappelle à Colomban et ses frères celui d’Annegray. Aussi sont-ils d’accord pour y fonder un nouveau monastère. Malgré son âge, Colomban tient à participer aux travaux achevés en 614.
Pendant ce temps, la prophétie de Colomban se réalise avec la mort de Thierry et la fin tragique de la reine Brunehaut. Clotaire est désormais l’unique roi des trois royaumes. Il envoie Eustaise, père abbé de Luxeuil, chercher Colomban à Bobbio pour qu’il revienne en Gaule. Mais Colomban ne peut s’y résoudre car sa mission est sans esprit de retour d’autant plus qu’il pense aussi à convertir le roi des lombards et surtout à consolider par sa présence le tout nouveau monastère de Bobbio. En retour, il charge donc Eustaise de remercier le roi Clotaire tout en lui demandant de protéger le monastère de Luxeuil, ce que le roi fit en augmentant ses terres et en le dotant de revenus confortables.
D’un grand âge, Colomban se retire souvent dans deux grottes pour prier. Arrivé au terme de sa vie, il dicte ses dernières volontés, se confesse et part pour un nouveau voyage éternel le 23 novembre 615.
Son corps repose dessous la basilique San Colombano de Bobbio dans un sarcophage de marbre blanc datant de 1482, où les bas reliefs représentent différents tableaux de sa vie.
Saint Colomban a passé les deux tiers de sa vie en Irlande avant d’entamer sa peregrinatio pro Dei amore à un âge avancé (50 ans). Toute son œuvre est donc concentrée dans les 25 dernières années de sa vie. À notre époque beaucoup moins rude que celle de Colomban où nombres de personnes de cet âge ont des difficultés à trouver du travail, ont le sentiment d’être moins efficace, moins utile, l’exemple de saint Colomban est à méditer.
Bien arrivé à l’abbaye de Bobbio auprès du tombeau de saint Colomban après cent deux jours et plus de 3700km sur son chemin de l’exil à travers sept pays d’Europe selon le découpage géographique actuel ( France, Luxembourg, Allemagne, Suisse, Autriche, Liechtenstein et Italie).
Depuis Bregenz, cette dernière partie du parcours est marquée par la traversée des Alpes et de la plaine du Pô avant de regrimper les Appenins et descendre finalement sur Bobbio.
En 2014 lors du pèlerinage Bangor-Bobbio, j’avais franchis les Alpes par le col de Septimer. Cette fois-ci, j’ai essayé le col de Splügen comme variante. Dans un cadre grandiose, montée comme descente sont magnifiques à travers alpages en fleurs multicolores et animés des sifflements des marmottes et des cloches des vaches.
Découvrant leur balisage sur le terrain, de nombreux chemins s’enchaînent de Thusis en Suisse jusqu’à Bobbio : via Spluga, via Francisca, cammino di San Pietro, via degli Abati et via San Colombano. Au milieu, Milan se traverse facilement par de longs itinéraires rectilignes avec de la place pour les piétons.
À partir de Pavie, à deux jours de marche de Bobbio, on voit apparaître de temps en temps le nom de San Colombano sur une chapelle, une église, un lieu-dit ou une rue.
Si la plaine du Pô est un peu monotone et poussiéreuse sous la chaleur, les Appenins offrent davantage de variétés (relief, cultures, villages et castello).
La vue sur la vallée de Bobbio depuis le passo del Penice (1260m) fait mieux comprendre le choix de saint Colomban pour sa dernière fondation et demeure.
Je profite de cette ultime correspondance du chemin de l’exil de saint Colomban pour remercier du fond du cœur tous ceux et celles qui m’ont soutenu par leurs prières et leurs pensées, qui m’ont accueilli si chaleureusement le long de ma route, qui ont fait un bout de chemin avec moi ou sont venus me retrouver comme mes compagnons d’armes du Liban et les nombreux Amis de saint Colomban de différents pays sans oublier mon épouse qui m’a laissé partir à nouveau et m’a surtout permis de vous rencontrer jours après jours.
Pèlerinage religieux avant tout, il a permis de porter toutes les intentions de prières qui m’ont été confiées à l’intercession particulière de saint Colomban jusqu’au pied de son tombeau. De prier chaque jour à l’une de ces intentions a été aussi une aide précieuse qui m’a porté.
Comme toute pérégrination au long cours, au rythme lent de la marche à pied, au contact de la nature, au fil des rencontres et à l’abri de la surabondance d’informations, ce chemin a permis d’apprécier la valeur réelle des choses, des personnes et des situations politiques et économiques de chaque pays. En son temps, saint Colomban devait déjà faire le même type de constat. Mais pendant son chemin de l’exil, il ne s’est pas contenté de marcher comme moi mais, à plus de 70 ans, il a évangélisé, soigné les pauvres et les malades, rencontré et conseillé rois et reines, entretenu correspondance et composé poèmes et chansons, tout en assurant sa fonction de père abbé auprès des moines qui l’entouraient. Tout cela faisant de lui un être exceptionnel, un des pères fondateurs de l’Europe malheureusement oublié aujourd’hui.
À mon humble niveau, j’espère vous l’avoir fait connaître et apprécier.
Pèlerin au Liechtenstein :
Météo pas toujours favorable :
Pavie : tombeau de St Augustin visité grâce à Mario, président des Amis de saint Colomban de Bobbio
Appenins dans les premières lueurs du jour :
Accueil par le maire de Bobbio :
Bobbio : abbaye de Saint-Colomban
Simon DERACHE
Envoi du 26 juin depuis Bregenz
Colomban passe par Bâle, quitte le Rhin peu après pour s’engager par la Limmat vers le lac de Zurich où il s’installe momentanément à Tuggen conquis par la beauté du site. La population autrefois partiellement christianisée était revenue aux pratiques païennes germaniques de superstitions et sacrifices à différents dieux comme Wotan. L’arrivée des moines est plutôt bien perçue au début mais la destruction d’idoles et de temples par Gall dégrade vite les premiers effets de l’évangélisation et les rapports avec les autochtones au point qu’il est plus prudent pour Colomban de lever le camp. Colomban et ses frères poursuivent vers le Vorarlberg autrichien et atteignent les rives du lac de Constance vers Arbon. Ils sont conquis par le paysage et, sur les conseils d’un prêtre local, Willimar, s’installent à Bregenz. À l’endroit où le Rhin rentre dans le lac, ils trouvent une chapelle dédiée à sainte Eurélie et s’y installent pour fonder finalement leur monastère. Choisi pour son don de l’éloquence et sa bonne connaissance des dialectes locaux, Gall est chargé de la prédication auprès de la population. Mais, comme à Tuggen, son impétuosité, ses remontrances et les idoles de bronze jetées dans le lac faillirent tourner à la catastrophe. Heureusement, très révoltée au départ contre les moines, la population de la plaine et des montagnes les accepte progressivement au point de se laisser évangéliser.
Dès lors, la vie monastique à Bregenz ressemble à celle de Luxeuil, partagée entre prières, travaux intellectuels et manuels tout en accueillant les pauvres et les malades. Malgré son âge (70 ans environ) Colomban se retire au désert pour prier et jeûner. Il nomme Eustaise comme 3ème abbé de Luxeuil et prend Chagnoald comme assistant. Depuis Bregenz, Colomban pense un moment se rendre au pays des slaves pour les convertir mais une vision l’en déconseille.
Trois mois sur le chemin de l’exil de saint Colomban m’amène à Bregenz en Autriche sur les bords du lac de Constance, dans la partie la plus à l’est de son parcours qui montre peut-être son intention initiale de s’enfoncer plus loin en pays slave.
De Strasbourg à Zurich, la météo est restée particulièrement pluvieuse obligeant quelques détours pour éviter les chemins inondés en bord du Rhin et de la Limmat. Depuis le début du parcours, je n’ai longé que des cours d’eau en pleine crue : la Saône, la Loire, la Seine, la Marne, la Moselle, Le Rhin et la Limmat, preuve de l’ambiance humide. Mais la pluie n’empêche pas le pèlerin d’avancer même si on ne goûte pas facilement les paysages avec la tête enfoncée dans une capuche.
Le relief plat et des pistes souvent monotones et rectilignes en plaine du Rhin le long de canaux ou à l’abri de digues qui bouchent la vue se sont soudain accentués en quittant le fleuve pour rejoindre Zurich depuis Bade Säckingen (Allemagne).
Quelle belle récompense quant au débouché d’une colline, on aperçoit à l’horizon les Alpes enneigées, dernière barrière à franchir avant la descente vers l’Italie et Bobbio.
En plaine d’Alsace, une voie romaine « Heidestrassel » court tout droit sur une quinzaine de kilomètres après Hilsenheim. Saint Colomban devient plus présent après le lac de Zurich remonté en bateau, avec des paroisses portant son nom à Tuggen, à Rorschach et bien sûr à Bregenz où se trouve une copie de la statue du saint de Luxeuil mais surtout à St Gallen avec nombre de trésors du scriptorium de Luxeuil à la bibliothèque de la ville.
Rencontres à Wattwill avec des pèlerins de saint Jacques dont l’un arrive de Slovénie à pied, parti de chez lui le 1er juin. Voilà bien longtemps (14 avril à la Charité sur Loire) que je n’avais pas croisé un pèlerin.
Accueil toujours chaleureux le long de cette partie entre plaine et montagne, notamment à St Gallen fondé par saint Gall compagnon de saint Colomban, où je retrouve les Amis de saint Colomban de Luxeuil (Jacques Prudhon) et de Suisse (Wolfgang Sieber) pour une visite de la bibliothèque, de la chapelle « St Gallus » ouverte exceptionnellement pour nous, une messe à la cathédrale animée par une superbe chorale de sainte Anne d’Auray suivi d’un excellent repas au restaurant sans compter interview pour un journal local. Parcours à pied et en bateau le lendemain entre St Gallen et Bregenz avec un Amis de saint Colomban d’Autriche (Karl Dörler) qui me fait découvrir la via Galli, Linden et Bregenz sur le Bodensee, sa ville riche du souvenir de saint Colomban et saint Gall avant de m’accueillir très cordialement chez lui.
Encore un clin d’œil de saint Colomban en arrivant au prieuré de saint Bernard à Ottmarsheim (Alsace) (saint Ottmar, premier abbé de l’abbaye de St Gallen) où il n’y a plus de place à l’hôtellerie en ce week end de retraite et où la seule chambre libre du prieuré porte le nom de saint Colomban, la voisine occupée par le frère hôtelier s’appelle saint Gall.
Depuis Bâle et jusqu’à Bobbio, je suis sur une partie du chemin déjà emprunté en 2014 dans mon premier pèlerinage sur les traces de saint Colomban entre Bangor (Irlande du nord) et Bobbio (Italie). J’en profite donc pour essayer d’autres variantes comme la vallée de la Limmat ou la via Galli.
Tout va bien pour le pèlerin qui attend avec impatience le passage des Alpes.
Cathédrale de Strasbourg :
Plaine d’Alsace sous la pluie et les Vosges :
Après les cerisiers en fleurs du début de pèlerinage, désormais quelques fruits à déguster :
Récompense au débouché d’une côte :
Vue sur Tuggen bien différente de celle aperçue par saint Colomban :
Promotion du Chemin européen de saint Colomban à St Gallen :
Comme au départ le 28 mars au pied de la statue de saint Colomban de Luxeuil, 91 jours après au pied de sa copie à Bregenz :
Message du 15 juin depuis Strasbourg
Colomban atteint Metz, résidence de la cour du roi d’Eustrasie Théodebert qui l’accueille chaleureusement. Il y retrouve avec joie un certain nombre de moines qui ont fui Luxeuil et ont trouvé protection à Metz comme Attale, Chagnoald déjà cités et Eustaise, le futur 3e abbé de Luxeuil. Comme Clotaire, Théodebert souhaite s’attacher Colomban et lui donne une terre aux confins du royaume pour s’y installer et évangéliser les populations encore païennes. Nécessité oblige, il accepte d’y fonder un nouveau monastère car, désormais entouré de nombreux frères, il lui est difficile de les renvoyer à Luxeuil ou d’envisager un monastère itinérant car les risques sont trop importants quant à l’observation de la règle et la sanctification.
Pour éviter que l’abbaye de Luxeuil se dépeuple à nouveau, Colomban choisit de s’en éloigner le plus possible. Escorté cette fois-ci par les soldats de Théodebert, il descend la Moselle pour atteindre le Rhin à Coblence. Il y trouve un bateau à rames fourni par le roi pour remonter le Rhin au plus loin. C’est sur ce navire que Colomban composera son fameux chant des rameurs pour faire passer le temps à l’équipage. À Mayence devant les difficultés à trouver des vivres offerts bénévolement, Colomban se met en prières pour subvenir aux besoins de la troupe, l’évêque le trouve ainsi dans sa cathédrale et lui ouvre finalement ses greniers.
Quatre vingt jours sur le chemin de l’exil de saint Colomban et, selon la formule habituelle, me voilà à Strasbourg. Définitivement aussi dans la bonne direction du sud vers l’Italie et Bobbio après avoir marché dans tous les sens possibles à travers la France.
Depuis la Champagne et ses vignes, la traversée jusqu’à Metz s’est faite souvent sous la pluie, parfois diluvienne et incessante, laissant peu de loisir de regarder le paysage brumeux mais obligeant plutôt à assurer son pas sur un sol glissant et détrempé. Pour le moment en Alsace, c’est toujours la pluie.
Traversée aussi de grands champs de bataille qui ont marqué l’histoire de France bien des siècles après saint Colomban comme Valmy, la guerre de 1870 autour de Metz mais surtout les combats de 1914-18 dans l’Argonne et à Verdun dont le centenaire était fêté la veille de mon passage.
À parcourir à pied dans le crachin le champ de bataille de Verdun à travers le village détruit de Fleury (perdu et reconquis seize fois), les tombes de l’ossuaire de Douaumont, son fort et le sol boueux en sous bois à jamais retourné par l’artillerie, on mesure le sacrifice de tous ces soldats pour leur pays.
Après Metz, descente de la vallée de la Moselle en suivant de nombreuses fois une piste cyclable au ras de l’eau débordante mais en coupant ses multiples méandres par des sentiers très agréables en corniche dans les vignes et sur les hauteurs donnant des vues surplombantes sur le cours de la Moselle. Ce parcours du Luxembourg à Coblence est pour le moment un des plus beaux de mon périple avec un relief très valonné, des côteaux en vignoble, des villes et villages très touristiques en bord de Moselle.
Si la Moselle ne s’est pas laissée descendre en bateau comme saint Colomban, faute de crue importante et de travaux d’entretien sur une écluse, j’ai pu remonter le Rhin de Coblence à Mayence dans cette vallée mythique du fleuve bordé de collines raides tapissées aussi de vignobles et ponctuées de châteaux romantiques.
En France mais aussi au Luxembourg et en Allemagne, les accueils restent invariablement très chaleureux. Pour la première fois, la tente est sortie du sac pour un bivouac sauvage au fond d’un bois après Altrip.
À part de petites portions de voies romaines, la Porta Nigra de Trèves est une superbe porte romaine que saint Colomban a pu franchir lors de son passage dans cette ville, ce qui est toujours émouvant comme à Autun car les monuments de son époque sont rares.
Encore une fois, un petit signe de saint Colomban quand j’ai été reçu dans une jeune famille inconnue où le père, Pierre-Xavier, est né à Luxeuil, rue saint Colomban et porte « Colomban » dans ses prénoms de baptême.
Le pélerin en meilleur forme que les talons de ses chaussures entame le dernier mois de sa pérégrination et vous donne rendez-vous dans quinze jours.
Des fleurs malgré la pluie :
Combats de Verdun, ossuaire de Douaumont :
Les bords du Rhin :
Le Rhin romantique :
Un pèlerin de saint Jacques à Speyer :
La tente enfin montée :
Talons de chaussures fatigués mais qui tiendront bien jusqu’à Bobbio :
Entretien et interview sur le bord du Rhin avec le maire de Gambsheim :
Simon Derache
Message du 27 mai depuis Trépail
Arrivé à la cour à Soissons, Colomban se voit proposer par Clotaire II de rester sur ses terres mais il refuse car il veut poursuivre sa marche au désert et ne souhaite pas devenir un sujet de discorde entre lui et son voisin belliqueux, Thierry II. Durant son séjour à Soissons, un conflit éclate effectivement entre Thierry II et Théodebert II, son frère, roi d’Eustrasie au sujet de l’Alsace. Ces deux derniers envoient des ambassadeurs auprès de Clotaire pour rechercher alliance. Mais Colomban conseille au roi de ne pas se mêler de cette lutte fratricide car, dans trois ans avec la mort des deux frères, les deux royaumes de Bourgogne et d’Austrasie lui reviendront sans combattre et la Gaule sera à nouveau unifiée comme sous Clovis.
Avant de quitter Soissons, Colomban demande à Clotaire une escorte pour traverser l’Eustrasie de Théodebert car il émet le projet de se rendre à Rome. Il rejoint Paris puis s’arrête à Meaux chez un noble, Chagnéric, proche de Théodebert mais surtout père d’un des moines de Luxeuil, Chagnoald. Après la bénédiction de la demeure, Colomban consacre la jeune sœur de Chagnoald, Fare, qui deviendra plus tard abbesse de Faremoutier sous la règle colombanienne.
À quelques kilomètres de Meaux à Ussy sur Marne, Colomban est reçu par un dénommé Authaire qui a trois fils, Adon, Dadon et Radon, eux aussi consacrés et bénis par le saint. Ils deviendront plus tard trois grandes figures de l’église, Adon à l’origine de l’abbaye de Jouarre, Dadon sous le nom de saint Ouen, fondateur du monastère de Rebais et Radon bienfaiteur de l’abbaye de Rueil.
Puis Colomban s’engage à travers la Champagne en direction de l’est.
Soixante et unième jour et déjà deux mois sur le chemin de l’exil de saint Colomban et me voilà en pleine Champagne à Trépail, à la croisée de trois grands chemins de pèlerinage : celui de saint Jacques arrivant de Belgique, la Francigena reliant Canterbury à Rome et désormais notre chemin de saint Colomban. Dans cette marche vers l’est depuis saint Wandrille, j’ai traversé Rouen, Paris, Meaux, Soissons et Reims en suivant la Seine, la Marne et l’Aisne.
Les côteaux nord de la Seine jusqu’aux Andelys sont marqués par quelques anciens camps romains (camp César avant Rouen) ou routes gallo romaines sur les hauteurs alors que les abbayes comme Jumièges jalonnent la Seine en contrebas. Les reliefs de cette rive sont assez escarpés avec quelques écoles d’escalade et des vues plongeantes sur la Seine empruntée par d’immenses péniches.
Suivent de grandes plaines aux cultures finalement pas très variées depuis le début du parcours (colza, orge et blé), le maïs étant en cours de semence. Heureusement, les vignes de Champagne viennent rompre cette monotonie.
La traversée de Paris d’est en ouest est facile et agréable même sous la pluie : arrivée par de grandes forêts préservées (Plaisir, Bois d’Arcy, Versailles, Viroflay et Meudon) puis les quais de la Seine avant le parc de Vincennes et les rives de la Marne pour sortir vers Meaux.
Toujours un toit et de belles rencontres avec quelques moments particulièrement forts comme la réception à l’ambassade d’Irlande à Paris, les retrouvailles avec mes compagnons d’armes de 1985 au Liban et les accueils colombaniens à Ussy/Marne et à Jouarre.
Durant cette quinzaine, j’ai été accompagné plusieurs fois dans mes étapes par de la famille ou des amis, rompant sympathiquement mon isolement quotidien habituel.
Clin d’œil à saint Colomban, j’ai emprunté à la sortie de Soissons un chemin rectiligne de plusieurs kilomètres appelé « chaussée de Brunehaut », reine à l’origine de son exil.
Tout va bien sur cette belle route qui va bientôt quitter la France. Rendez vous dans quinze jours.
Cathédrale de Rouen avec sa façade dévoilée récemment après des années de travaux :
Vue plongeante sur la Seine et les Andelys :
Réception exceptionnelle à l’ambassade d’Irlande à Paris :
Une étape sur les bords de Marne avec Claude et Michel :
Accueil en chant par une chorale à Ussy/Marne :
Accueil très chaleureux par la communauté des Sœurs bénédictines de Jouarre :
Pas sûr d’avoir photographié le bon vase de Soissons :
Tombeau de saint Rémy à Reims qui baptisa Clovis en 498 (50 ans avant naissance de saint Colomban) :
Simon Derache
Message du 13 mai depuis Saint-Wandrille
Enfin débarrassée de son prisonnier gênant, l’escorte repart vers l’est. Le navire de commerce irlandais où ont embarqué Colomban et ses moines vogue vers le pays natal. Mais une tempête miraculeuse, un fort courant ou simplement le mascaret dans l’estuaire de la Loire fait échouer le bateau, occasion rêvée pour Colomban de prolonger sa mission sur le continent en évitant la Bourgogne interdite.
Colomban décide de se rendre à la cour de Clotaire II, roi de Neustrie, établie à Soissons. Mais la route entre Nantes et Soissons n’est pas décrite par l’hagiographe de Colomban, Jonas de Bobbio.
Sur ce trajet, il est important de faire halte à l’abbaye bénédictine de St Wandrille, toujours en activité depuis 649 et caractéristique de la transformation des abbayes colombaniennes. En effet, Wandrille, administrateur à la cour du roi Dagobert 1er, décide de prendre l’habit et rejoint en 635 l’abbaye de Bobbio dernière fondation de Colomban. À son tour, il fonde cette abbaye qui porte aujourd’hui son nom et observa en premier lieu la règle de saint Colomban avant celle de saint Benoit. En restant principalement au Mont Cassin (Italie), Saint Benoit de Nursie n’a pas été un moine itinérant comme saint Martin et les moines irlandais. Pour donner un point de repère, il meurt en 547, soit après la naissance de St Colomban. Son œuvre est la règle bénédictine qu’il rédige à la fin de sa vie en s’inspirant d’un texte anonyme, la Règle du Maître, mais aussi des écrits de Pacôme, Augustin et Cassien. En trois siècles, elle supplante les autres règles grâce à l’influence du pape Grégoire 1er (Grégoire le Grand) par son éloge de la règle bénédictine, à St Colomban qui s’inspire de cette règle et la propage en Gaule, et à la réforme monastique de St Benoit d’Aniane durant l’empire carolingien qui impose cette règle comme unique règle.
Quarante septième jours sur le chemin de l’exil de saint Colomban et me voilà dans cette abbaye de saint Wandrille après avoir suivi depuis Nantes une nouvelle direction (nord-est), traversant Rennes, Vitré, Alençon, Sées et Lisieux.
Les côteaux de vignes des bords de Loire ont été remplacés par les landes bretonnes et leurs maisons de granit. Passé les cultures agricoles classiques de l’époque ou la semence du maïs avec d’énormes attelages, le paysage change avec l’élevage des chevaux et les nombreux haras de Normandie aux bâtiments à colombages, ne manquant pas d’allure comme le château des Haras du Pin.
Région plutôt plate jusqu’au mont des Avaloirs (491m), point culminant de l’ouest. La suite est bien vallonnée jusqu’à la Seine, notamment dans le magnifique pays d’Auge.
Hormis la Normandie particulièrement verdoyante à la pluie fréquente, les couleurs du paysage sont marquées par le jaune du colza et des genêts, sinon le blanc des arbres fruitiers et le bleu de quelques petites fleurs. Les forêts sont en général immenses, franchissables lorsqu’elles sont domaniales, ceinturées de clôtures quand elles sont privées, ce qui rajoute des kilomètres de contournement.
Tout de même quelques voies romaines qu’aurait pu emprunter saint Colomban avant Blain (ancienne ville romaine) et surtout autour de Pont Audemer. À la croisée de routes romaines, Jublains est une ancienne ville gallo-romaine bien mise en valeur avec son temple, des thermes, un théâtre et une imposante forteresse ainsi qu’un musée qui mérite vraiment le détour.
Toujours pas d’utilisation de la tente avec des hébergements quotidiens sous un toit dont le plus original fut une sacristie. Au risque de me répéter, les accueils sont toujours aussi chaleureux et touchants. Des rencontres plus rares en chemin mais sympathiques comme dernièrement avec un groupe d’une quinzaine de randonneurs dont certains(es) se préparaient pour saint Jacques qui m’ont invité à partager un verre et leur casse croûte, histoire de leur faire connaître saint Colomban et, pour moi, de goûter un camembert succulent de leur cru qu’il m’offriront d’emporter.
Parcourant en moyenne 35 kilomètres par jour et toujours en bonne forme, je vous laisse deviner le lieu de notre prochain rendez-vous dans quinze jours en suivant une nouvelle direction plein est de manière assez rectiligne.
Un dimanche avec la famille missionnaire ND de Grand Fougeray :
Avec les Amis Bretons de St Colomban à Acigné :
Après ceux de la Loire, le château de Vitrée :
Forteresse romaine de Jublain :
Dans la maison natale de Sainte Thérèse de Lisieux :
Message du 30 avril depuis Blain
À Auxerre, à la suite d’un contre-ordre ou pour éviter peut-être la Neustrie où Colomban pourrait trouver de l’aide auprès du roi Clotaire II, le convoi change brusquement de direction et s’en va rejoindre Nevers.
La troupe y embarque en bateau pour descendre ainsi la Loire jusqu’à Nantes. Jugeant l’embarquement trop lent, un soldat brutalise l’un des moines à coup de rame. Aussitôt, Colomban s’emporte contre le soldat dont il condamne la violence contre un homme de Dieu souffrant et désarmé. En sentence de son forfait, le soldat se noya par la suite.
Arrivé à Orléans, capitale de la Bourgogne, Colomban dut se résoudre à vivre sous tente à l’extérieur de la ville où Thierry II lui interdit de rentrer pour prier dans une église et d’y séjourner craignant son influence sur les habitants. Colomban envoie au ravitaillement deux frères dont l’un, Potentin, pourra témoigner de son vivant, 25 ans plus tard, ce qu’il a vécu durant cet exil auprès du rédacteur de l’hagiographie de saint Colomban dans la Vita Columbani. Craignant des représailles des autorités, les habitants ne leur donnent aucune provision. Finalement, c’est une étrangère d’origine syrienne qui vient à leur aide. À son domicile où les frères trouvent tout ce dont ils ont besoin, il découvre son mari, syrien lui aussi mais qui est aveugle depuis quelques années. En reconnaissance de cette hospitalité, la communauté des moines rentre en prière et Colomban guérit l’homme de sa cécité. La nouvelle fait grand bruit et aussitôt accourent auprès du saint nombre de malades de la ville qui apportent à leur tour de nombreux présents.
Au milieu de la Loire au large de Tours, Colomban demande à ses gardiens d’accoster afin de pouvoir se recueillir sur le tombeau de saint Martin. Ceux-ci refusent car la ville appartient à l’Eustrasie, le troisième royaume de la Gaule mérovingienne où Colomban est connu en bons termes. Par miracle, le bateau atteint la rive et Colomban peut finalement prier et se conforter toute une nuit auprès de saint Martin avec lequel il a beaucoup de points communs dans la manière de vivre la foi. En effet, comme évêque de Tours en 371, il y a vécu en moine admiratif des Pères du désert d’Égypte et de Syrie jusqu’à sa mort en 397 (45 ans avant la naissance de Colomban). Son hagiographie, Vita Martini, écrite de son vivant (396/397) a une énorme influence dans le développement du monachisme en occident. Lui aussi a pratiqué une indépendance totale vis à vis des rois et seigneurs pour une défense sans compromis de la foi jusqu’à connaître les persécutions et l’exil. Après sa nuit de prière à la cathédrale, Colomban est invité par l’évêque Leupaire qui le questionne sur les raisons de son voyage. Dans sa réponse, avec sa franchise habituelle, Colomban accuse Thierry II au point de choquer un des convives amis du roi. Par cet intermédiaire, il en profite pour faire dire au roi qu’il n’a plus que trois années à vivre avant de disparaître avec toute sa descendance.
De retour au port, on lui apprend que toutes les provisions et dons reçus à Orléans pour la distribution aux pauvres ont été volés durant sa nuit de prières auprès de saint Martin. Colomban s’en retourne auprès de saint Martin, lui dit son étonnement d’un tel forfait et retrouve finalement les auteurs et le fruit du vol avant de s’en aller vers Nantes.
Le temps d’armer un bateau pour l’Irlande, Colomban reste quelques jours à Nantes où il en profite pour évangéliser, guérir les malades et s’occuper des plus pauvres au point de distribuer toutes leurs provisions et de jeûner à nouveau selon leur règle habituelle. Cette attitude indispose notamment l’évêque local Euphrone qui ne ménage pas ses efforts pour le faire embarquer le plus rapidement possible. Avant de prendre le bateau, Colomban adresse une longue lettre à ses moines laissés à Luxeuil sous l’autorité d’Attale : il y fait part de ses recommandations pour surmonter les épreuves à venir mais surtout d’une profonde affection pour les siens et d’une tristesse non moins cachée qui le fait pleurer en écrivant ses lignes. Cette lettre montre toute l’humanité de ce grand saint jugé sommairement comme trop sévère. Elle se termine par une phrase toujours d’actualité : « Enlever la dignité, c’est enlever la liberté ».
Déjà un mois sur le chemin de l’exil de saint Colomban et me voilà à Nantes en façade ouest de la France après une longue descente de la Loire en suivant principalement le sentier de grande randonnée GR3 et/ou la piste cyclable Eurovélo6 empruntée précédemment entre Besançon et Dôle et qui traverse notre pays de la frontière suisse (Bâle) à l’embouchure de la Loire.
Après Auxerre, on a parfois l’impression de ne pas avancer avec le parcours tortueux de saint Colomban et sa descente sud-ouest jusqu’à Nevers puis sa remontée nord-ouest jusqu’à Cosnes/Loire : en quatre étapes parfois longues, la progression vers l’ouest ne dépasse pas 30 kilomètres.
Encore une belle voie romaine à la sortie d’Auxerre jusqu’à Entrains/Nohain où les nombreux vestiges gallo-romains ont été malheureusement recouverts. Seul vestige de l’époque de saint Colomban à Nevers, un baptistère du VIème siècle dans la cathédrale actuelle dont l’évêque s’appelait Fulcirius (594-613). Sinon très peu de vestiges dans les autres villes (Orléans, Tours,…).
Depuis Vézelay jusqu’à Tours, la route de l’exil croise et recroise de nombreux chemins de saint Jacques avec son balisage traditionnel et surtout ses refuges pèlerins bien venus où j’ai passé une soirée avec un pèlerin français à la Charité/Loire.
Les rencontres sont toujours aussi variées et chaleureuses. Celle qui m’a le plus marquée fut d’entendre l’histoire de saint Colomban (Frédéric Kurzawa, chapitre 6) lue à l’abbaye de saint Benoît/Loire pendant le repas pris en silence avec les moines bénédictins et ceci depuis plusieurs jours sans lien avec mon passage : encore un beau signe de la providence dans une abbaye fondée en 630 peu après la mort de saint Colomban, observant d’abord sa règle avant celle de saint Benoît.
Actuellement, la Loire et ses affluents comme le Cher sont gonflés d’eau au courant particulièrement fort. Le chemin passe de la rive nord à la rive sud alternant de nombreux vignobles (Pouilly-Fumé, Vouvray, Tours, Chinon, Saumur,…) où il fait bon admirer l’évolution de la vigne depuis la Bourgogne, goûter les crus (avec modération) et discuter avec les viticulteurs en plein labeur, plus accessibles que les agriculteurs juchés sur leurs énormes tracteurs.
Même s’il est difficile de tous les voir, les châteaux ne manquent pas dans la région lui donnant ce caractère très spécifique reconnu au patrimoine mondial de l’humanité.
Jeanne d’Arc est aussi bien présente dans cette partie du chemin notamment à Orléans et Chinon avec de nombreuses statues, célébrations et références à ses victoires sur les anglais.
Tours est une étape importante de la route avec le tombeau de saint Martin sur lequel s’est recueilli saint Colomban, aujourd’hui dans une collégiale reconstruite de nombreuses fois après les destructions successives (normands, protestants, révolution).
À Saumur, j’ai eu le plaisir de descendre la Loire en gabare, bateau traditionnel à fond plat, grâce à Bernard et Charles-Henri : encore un souvenir marquant de cette première partie du chemin de l’exil jusqu’à Nantes.
À la veille de son enterrement, je ne peux terminer sans penser à Philippe Kahn, décédé brutalement d’une maladie foudroyante, lui qui a tant œuvré comme historien pour faire connaître saint Colomban. Demain par mes prières sur la route de ce grand saint qu’il affectionnait, je serai de cœur avec vous qui l’entoureront pour un dernier « à Dieu » en la basilique de Luxeuil.
Simon DERACHE.
Racines chrétiennes omniprésentes :
Loire, ponts et châteaux (Giens) :
Sully/Loire :
Cathédrale d’Orléans :
Jeanne d’Arc toujours présente :
Tombeau saint Martin à Tours :
Plaisir de croiser des chemins parcourus :
Message du 11 avril 2016 depuis Auxerre
Aujourd’hui, saint Colomban est tombé dans l’oubli alors qu’il a été une figure marquante du haut moyen-âge, personnage incontournable pour les historiens et chercheurs de cette époque. Connu de certains par sa règle et son pénitentiel, il est souvent perçu et jugé sommairement comme un saint autoritaire, sévère et austère à l’image de ses statues à Luxeuil et Bregenz.
Pour mieux comprendre saint Colomban, il n’est peut-être pas inutile de le resituer dans son contexte. Issu vraisemblablement d’une famille noble, il passe 50 ans de sa vie en Irlande dans un pays non conquis par les romains, à forte culture celtique malgré sa christianisation récente par saint Patrick, mort 80 ans seulement avant la naissance de Colomban. Contrairement à la Gaule divisée en diocèses et paroisses issus des structures romaines, l’Église irlandaise s’organise autour de monastères puissants et indépendants.
Durant 25 ans passés dans deux monastères (à Cleenish Island et surtout à Bangor), partagés entre la prière, la culture et le travail manuel, il y reçoit une solide formation monastique qui va véritablement l’imprégner et l’armer pour remplir sa mission sur un continent inconnu, en décadence après la chute de l’empire romain et les invasions diverses (violences et conflits en tout genre, retour du paganisme, dégradation des mœurs, corruption,…). Les règles propres à chaque monastère irlandais y sont très dures. Elles s’inspirent des Pères du désert, ces premiers ermites qui se retirent au désert en Égypte, en Syrie, en Palestine ou en Asie Mineure. Le plus connu et véritable « Père du monachisme », saint Antoine, riche héritier né en 251 en Égypte, distribua sa fortune aux plus pauvres comme dans l’évangile pour un renoncement total aux biens de ce monde en quête d’absolu, se rapprocher de Dieu, rentrer en contact personnel avec Lui par la mortification, le jeûne et la prière. Mais sa réputation et son exemple lui attirèrent rapidement des disciples soucieux de vivre à son image ou des personnes intéressées par un « miracle » toujours possible d’un homme de Dieu qui connaissait les écritures, les sciences et les plantes médicinales en particulier. Ainsi se formèrent les premières communautés monastiques et une manière particulière d’évangéliser en attirant à soi des disciples de plus en plus nombreux qui, à leur tour, essaimeront en se retirant « au désert », dans un lieu sauvage et isolé. L’influence des Pères du désert rayonne ainsi jusqu’en Irlande. À son tour, le monachisme irlandais procède de cet esprit en envoyant certains de ses moines au delà de ses frontières.
En quittant son pays en 590, Colomban et les moines qui l’accompagnent se retirent eux aussi au « désert » au plus loin dans un continent inconnu pour y pratiquer l’ascétisme, la pénitence, la contemplation pour rencontrer Dieu en martyr luttant en permanence contre les tentations et les imperfections humaines. À son tour à la manière des Pères du désert, il s’attire de nombreux disciples dans une région inhospitalière et fonde ainsi quatre monastères de son vivant (trois à Luxeuil et un à Bobbio) suivis après sa mort d’une soixantaine d’autres entre le nord de la Gaule et l’Italie. Il y définit une règle monastique dure où confessions et pénitences sont codifiées, mais pas plus sévères que celles vécues en son pays et autrefois au désert. Il introduit aussi dans ses monastères la règle récente de saint Benoit (mort en 547) et participe à la faire connaître à travers la Gaule. Cette attirance s’explique par la démission du clergé gaulois et la perte de repères qu’elle entraine mais aussi par l’humanité exemplaire, la profondeur de la doctrine et le charisme que donne Colomban à ses moines et à ceux qui le visitent, des plus humbles aux plus hauts dignitaires.
Son influence déborde le cadre de ses monastères car, dans ses déplacements à travers l’Europe comme dans ses vingt années statiques à Luxeuil, il est amené à conseiller différents rois et reines, à baptiser des enfants qui seront canonisés plus tard (saint Ouen, sainte Fare, …), à écrire aux évêques de Gaule réunis en concile à Chalon sur Saône, à échanger correspondances avec le pape et à lutter contre une hérésie très puissante (arianisme).
Mais défendant ardemment les pratiques religieuses irlandaises (abbayes non subordonnées au diocèse, calcul différent de la date de Pâques, tonsure celtique,…), Colomban se heurte rapidement aux autorités de l’église romaine locale. Après l’avoir conseillé un temps, il reproche ensuite au roi de Bourgogne, Thierry II, son mode de vie dissolu, loin des enseignements de l’évangile. Profitant de ces diverses tensions, la reine Brunehaut, grand mère du roi, pousse en 610 le roi à le renvoyer vers l’Irlande après un embarquement à Nantes.
Colomban est incarcéré une première fois à Besançon où il vient en aide aux prisonniers et s’en échappe pour retourner à Luxeuil. Furieux, le roi et la reine envoient à nouveau des soldats qui reviennent bredouilles, Colomban refusant d’obéir à la force. Pour éviter des représailles aux soldats d’une nouvelle expédition, il prend définitivement le chemin de l’exil, accompagné des moines irlandais et bretons.
Consolant ceux qu’il quitte, Colomban voit déjà dans ce chemin de l’exil une occasion de prolonger sa peregrinatio pro Dei amore qui, par définition, est sans esprit de retour. Il est donc écrit qu’il ne reviendra ni en Irlande, ni à Luxeuil.
Escorté par des soldats, tout en suivant d’anciennes voies romaines mal entretenues, il repasse par Besançon, peut-être par Chalon sur Saône (résidence de la cour de Bourgogne), par Autun (où seront inhumés trois ans plus tard, les restes de la reine Brunehaut en l’abbaye St Martin) et Avallon où il manque d’être transpercé par la lance d’un palefrenier du roi. Sur les bords de la Cure, affluent de l’Yonne, une femme noble et pieuse lui donne l’hospitalité. Tout au long de sa route, il guérit malades et possédés comme sur la Cure ou à Saint Moré.
À proximité d’Auxerre où Thierry II gagna une bataille en 600 contre Clotaire II, roi de Neustrie et soutien de Colomban, remportant ainsi tout un territoire entre la Seine et la Loire, Colomban prédit au chef d’escorte, Ragomund, vantant Thierry, la victoire de Clotaire avant trois ans et la réunification du royaume qui interviendra effectivement en 613.
Deux premières semaines sur le chemin de l’exil de saint Colomban et me voilà à Auxerre après Luxeuil, Besançon, Dôle, Chalon sur Saône et Autun.
L’ensemble du parcours depuis le départ est agréable et varié. Seule la plaine de Saône est monotone d’autant plus que la météo n’a rien fait pour l’améliorer. Si les dix premiers jours sont marqués par la pluie, le froid et parfois la grêle, le soleil est désormais le bienvenu depuis quelques temps.
Les reliefs vont de très escarpés sur les hauteurs du Doubs entre Baume les Dames et Besançon avec rencontre d’un chamois à très valonnés en sous bois dans la traversée du Morvan en passant par plaines et côteaux de vignes à l’approche d’Auxerre.
Partout un accueil particulièrement chaleureux dans des paroisses et communautés religieuses ou chez des cousins, amis et pèlerins de saint Jacques. La tente est encore restée au fond du sac grâce à mon épouse qui prévoit les hébergements à distance depuis la maison.
De nombreux vestiges gallo-romains jalonnent l’itinéraire en ville (Besançon et à Autun) comme en rase campagne avec le camp maçonné bien visible de Cora près de St Moré ou la voie romaine Agrippa, grand axe de l’époque entre Lyon et Boulogne sur Mer. Il est particulièrement émouvant de franchir la porte romaine d’Arroux à Autun et de suivre la via Agrippa sur une dizaine de kilomètres que saint Colomban a vraisemblablement emprunté avec les siens, escortés de soldats.
Après Avallon un petit détour par Vézelay, occasion aussi de se retremper dans l’ambiance du pèlerinage de saint Jacques et de rencontrer d’autres pèlerins en route depuis les Pays Bas vers Compostelle, le champs des étoiles.
Sinon tout va bien pour le pèlerin qui vous donne rendez-vous dans quinze jours pour la suite du récit.
Sur les hauteurs du Doubs :
Accueil très chaleureux au château de Dracy-les-Couches :
Porte d’Arroux à Autun :
Auxerre, cathédrale saint Étienne :
Message du 29 mars 2016 depuis Baume les Dames
En 2014, je suivais les pas de saint Colomban, moine irlandais du VI et VIIe siècle aujourd’hui méconnu, entre l’abbaye de Bangor en Irlande du Nord qu’il quitte à l’âge de 50 ans environ pour évangéliser l’Europe et celle de Bobbio en Italie du Nord où il meurt le 23 novembre 615 à près de 75 ans.
Ce long parcours de 3200km dans neuf pays européens de la géographie actuelle (Royaume-Uni, Irlande, France, Allemagne, Suisse, Autriche, Liechtenstein et Italie) n’était en fait qu’un raccourci, une trace la plus directe possible entre les deux villes.
Comme le précise l’hagiographie de saint Colomban écrite 25 ans après sa mort, le chemin entre Luxeuil-les-Bains en Franche-Comté où il œuvre une vingtaine d’année et Bobbio n’a rien de rectiligne. En effet renvoyés en Irlande par le roi et la reine de l’époque, Colomban et les moines irlandais doivent quitter l’est de la Gaule en 610 et partir vers l’ouest sous escorte armée pour embarquer à Nantes. Le bateau s’échoue un peu plus loin leur donnant l’occasion d’une nouvelle pérégrination vers le nord-est puis vers le sud pour contourner le royaume où ils sont proscrits.
Ce chemin de l’exil entamé le 28 mars 2016 devrait être plus long (3700km) que le précédent et tout en zigzag entre Luxeuil et Bobbio. Pour donner une idée du parcours, voilà quelques unes des villes traversées par saint Colomban : Besançon, Autun, Auxerre, Nevers, Orléans, Tours, Nantes, Paris, Meaux, Soissons, Metz, Coblence, Mayence, Bâle, Zurich, Bregenz, Milan et Bobbio. L’occasion de passer aussi dans un neuvième pays, le Luxembourg, et de montrer encore la dimension européenne de saint Colomban.
Le pèlerinage a débuté le 27 mars par une bénédiction du pélerin à la fin de la messe de Pâques en la basilique saint Pierre de Luxeuil.
À l’issue, lors d’un vin d’honneur d’une grande convivialité, les Amis de saint Colomban avec leur président Jacques PRUDHON m’entouraient avec ma famille.
Le chemin de l’exil a débuté le 28 mars au pied de la statue de saint Colomban.
Les deux premiers jours permettent de retrouver les bonnes habitudes du pèlerin avec tous les types de météo mais déjà les premières rencontres très chaleureuses comme à Montjustin (1ère étape) et à la paroisse de Baume les Dames (2ème étape).
Si tout va bien, je vous adresserai par quinzaine un courrier pour partager mon pèlerinage et surtout mieux faire connaître ce grand saint, tombé dans l’oubli, mais qui demeure « le premier européen » et « un des Pères de l’Europe », comme le soulignait Robert Schuman en 1950, à l’aube de la construction européenne.
Simon DERACHE